« Là-haut, nous serions seuls avec le vent jaseur.
Et après, il faudrait redescendre, reconquérir pas à pas, péniblement, le droit de cité parmi les hommes.
Demain les vacances s’achèvent et notre association sera dissoute.
Et cette maudite corde... allons ! Cette bonne vieille corde tout de même !
... signe de ralliement et d’alliance, ira dormir en rond dans quelque coin avec les souvenirs de l’été,
échangera peu à peu la forte odeur des roches contre celle des greniers et des rats.
Demain, il faudra troquer la neige pour l’asphalte,
les déserts ailés de la neige contre la boue des rues,
le pur cristal du silence contre le vacarme incohérent des villes,
la solitude pour les mêlées déshonorantes,
recharger ses poches de fausse monnaie,
réintégrer les tiroirs, les castes, les prisons,
reprendre le lourd harnais des soucis sordides, des habitudes, des opinions,
redevenir ceci ou cela, nous autres qui n’étions plus que des hommes.
Descendre... Descendre de toutes les façons.
Non ! Pas encore ! Quelques heures encore pour jouer le jeu !
Quelques heures avant que la fatigue, le froid, la nuit, ces trois gardiens impitoyables, ne nous chassent vers la vallée.
Et voici qu’elles gisent maintenant à nos pieds, ces terres d’en bas,
ces terres fertiles où il fait bon vivre, pleines d’hommes et de cités bruissantes,
de fleuves royaux, de tendres chairs, pleines de tout ce que nous avons rejeté.
Vallées, jalouses vallées !
Vous tirerez sur le fil ce soir et il faudra bien obéir.
Mais vous ne tiendrez que nos corps.
Sachez que nous avons fait un pacte avec le Seigneur des dures cimes
et qu’il n’est plus en notre pouvoir de le rompre
jusqu’au jour où peut-être une sagesse inconnue entrera dans nos cœurs...
Ou les montagnes elles-mêmes deviendront inutiles. »
Samivel - L’Amateur d’Abîmes